Bibliothèque nationale de France
Histoire d’une vie, histoire d’une époque. La biographie comme démarche historiographique
Résumé : De Plutarque jusqu’à nos jours, le genre biographique a mis à l’épreuve les serviteurs de Clio. Remis au cœur du débat par les historiens positivistes ainsi que par l’Ecole des Annales, il a gagné depuis quelque temps le monde universitaire, rétif initialement devant son succès médiatique. Malgré « l’illusion biographique » dénoncée par Bourdieu, la biographie proposée par Lucien Febvre reste un modèle et réclame l’approfondissement comme méthode d’analyse. La grande richesse de ces écrits rend difficile une telle réflexion. Leur diversité n’en complique pas moins la tâche : d’un côté, diversité des vies devenues sujet d’ouvrages – du parcours des hommes d’État et politiques ou des hommes de lettres ou artistes, jusqu’aux plus humbles personnages de la société. De l’autre côté, diversité aussi des auteurs provenant des domaines les plus variés tentés par ce type d’expérience : des historiens, des historiens littéraires et de l’art, des sociologues, des philosophes et psychologues et d’autres scientifiques, des écrivains et des journalistes ou même des amateurs. Cette réflexion constitue pourtant une exigence qui s’impose aux historiens, moins présents dans cet exercice que leurs confrères des autres domaines de recherche, et cela en dépit de leur rôle actif dans la pratique biographique. Notre intervention insiste sur cette nécessité afin de montrer que l’histoire d’une vie ne représente pas un but en soi et que le sens d’une biographie historique découle de sa manière de proposer une problématique pour contribuer à la compréhension d’une époque tout comme la connaissance d’une époque permet de comprendre un destin individuel.
Mots clés : Biographie, historiographie, méthodologie, Ecole des Annales, genre biographique
History of a Life, History of an Era. Biography as Historical Writing
Abstract: From Plutarch to the present day, the biographical genre has challenged the servants of Clio. Brought back to the heart of the debate by positivist historians or by the Annales School, the biography has recently won over the academic world, which was initially reticent in the face of its media success. Despite Pierre Bourdieu's denunciation of the "biographical illusion", Lucien Febvre's biography remains a model, which calls for deepening as a method of analysis. The great richness of these writings makes difficult such a reflection. Their diversity complicates the task even more. On the one hand, there is the diversity of lives that have become the subject of this kind of writings from the lives of statesmen and politicians, men of letters and artists, to the humblest figures in society. On the other hand, there is also a diversity of authors from the most varied fields, tempted by this experiment: historians, literary and art historians, sociologists, philosophers and psychologists, other scientists, writers, and journalists, or even amateurs. Yet historians are less involved in this exercise than their colleagues coming from other research fields, despite their active role in biographical practice. Our contribution emphasizes this necessity to show that the story of a life is not a purpose in itself and that the meaning of a historical biography derives from the way in which it proposes an issue to contribute to the understanding of an era, just as the knowledge of an era helps us to understand an individual destiny.
Keywords: Biography, Historiography, Methodology, Annales School of History, Biographical writings
Stefan LEMNY (né en 1952) a été chercheur à l’Institut d’histoire « A. D. Xenopol » de Iaşi (Roumanie) entre 1980 et 1990 et docteur en histoire (1984) de l’Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi de la même ville. Établi en France, il a été chercheur à la Bibliothèque nationale (1991-1994). Il a continué son activité professionnelle à la nouvelle Bibliothèque nationale de France (19952004), chargé ultérieurement des collections d’histoire pour l’Europe centrale et orientale (2005-2019). Ses recherches, centrées initialement sur l’histoire de la société roumaine au XVIIIe siècle, en particulier sur l’histoire culturelle, l’histoire des mentalités et l’historiographie, se sont ensuite dirigées vers l’étude du XVIIIe siècle européen et la Révolution française. En 1999, il a soutenu une nouvelle thèse à l’EHESS (Paris) sous la direction d’Emmanuel Le Roy Ladurie avec une biographie dédiée au révolutionnaire Jean-Louis Carra (1742-1793). Il participe à l’activité de l’Institut d’histoire de la Révolution française, contribuant à l’élaboration des dictionnaires des membres de la Législation et de la Convention, et plus récemment, à un nouveau chantier de recherches concernant la dénonciation révolutionnaire. L’intérêt pour l’histoire culturelle, nourri par la mise en valeur des archives inédites l’a conduit également vers l’exploration des quelques moments de l’histoire contemporaine à travers la biographie d’Emmanuel Le Roy Ladurie ou l’œuvre roumaine d’Alphonse Dupront. Il a participé à la constitution du BIBLHIS (Groupe de travail sur les bibliothèques d’historiennes et d’historiens. XVIIIe-XXIe siècle) et il est membre de l’Association pour le Développement de l’Histoire Culturelle (Paris). Membre d’honneur de l’Institut d’histoire « A. D. Xenopol » (2019) et des collèges de rédaction de plusieurs revues d’histoire : Anuarul Institutului de istorie « A. D. Xenopol », Iaşi ; Archiva Moldaviae, Iaşi, The Romanian Journal of Modern History ; Revista de istorie a Moldovei, Chişinău ; Revue roumaine d’histoire, Bucarest. Pour son ouvrage biographique (Les Cantemir. L’Aventure européenne d’une famille princière au XVIIIe siècle, Paris, 2009), il a eu le prix « Nicolae Iorga » de l’Académie roumaine (2011).