Docteur en Histoire contemporaine
Chercheur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Enseignant à Université Paris 1 et Sciences Po Paris
Résumé Dans sa réflexion sur la mémoire et l’oubli, Paul Ricœur soulevait la question des « abus de mémoire » en relevant des usages pervers du « devoir de mémoire » par la frénésie commémorative ou la manipulation de la mémoire. Le philosophe défendait ainsi un « devoir d’oubli » qu’il jugeait nécessaire pour l’accomplissement d’une « juste mémoire ». Nous proposons dans notre conférence de réfléchir à la possibilité de la notion d’ « abus d’oubli ». Les formes abusives de l’oubli se rencontrent dans les injonctions institutionnelles d’oubli portées par des logiques d’amnistie/amnésie que l’on retrouve sur le temps long de l’histoire, de l’Antiquité (« damnatio memoriae »), à l’époque moderne (Edit de Nantes de 1598 sur les guerres civiles de religion) et contemporaine (loi espagnole de 1977 sur la guerre civile). Travaillant pendant plusieurs années sur l’histoire de la formule « devoir de mémoire », nous avons été régulièrement confrontés à une nouvelle forme d’abus d’oubli, avec l’apparition de nouveaux discours performatifs dénonçant l’oubli d’événements violents qui prenaient des formes abusives et qui provenaient cette fois davantage de la société civile. Ce nouvel « abus d’oubli » prend place dans un nouveau paradigme du rapport des sociétés à leur passé qui situent la mémorialisation des passés violents comme un remède incontournable aux désordres individuels et collectifs, et comme la condition de la perpétuation de la collectivité humaine.
Mots clés : Histoire, Mémoire, Oubli, Abus, Devoir de mémoire
Abstract: In his reflection on memory and forgetting, Paul Ricœur raised the question of "abuses of memory" by pointing out the perverse uses of the "duty to remember" through the frenzy of commemoration or the manipulation of memory. The philosopher thus defended a "duty to forget" that he considered necessary for the accomplishment of a "just memory". We propose in our conference to reflect on the possibility of the notion of "abuses of forgetting". Abusive forms of forgetting are found in institutional injunctions of forgetting carried by amnesty/amnesia logics that can be found throughout history, from Antiquity ("damnatio memoriae"), to Modern Times (Edict of Nantes of 1598 on the Civil Wars of religion) and Contemporary Times (Spanish law of 1977 on Civil War). Working for several years on the history of the formula « duty to remember », we were regularly confronted with a new form of abuses of forgetting, with the appearance of new performative discourses denouncing the forgetting of violent events that took abusive forms, this time coming more from civil society. This new "abuses of forgetting" takes place within a new paradigm of the relationship of societies to their past, which situates the memorialization of violent pasts as an inescapable remedy for individual and collective disorders, and as the condition for the perpetuation of the human collectivity.
Keywords: History, Memory, Forgetting, Abuse, Duty to remember
« Les « lois mémorielles » en Europe », Parlement(s), Revue d’histoire politique, numéro hors série, automne 2020 (à paraître).